Elle voltigeait dans le vent comme la dernière feuille d'un arbre mort. Ma vie, me répétais-je. Elle était encore en moi, me collant à la peau comme du goudron. Je sentais les fourmillements me dévorer le bout des doigts. Quelle sensation désagréable, et pourtant si merveilleuse. Le vide autour de moi m’étouffait, l'étau se resserrait de plus en plus contre ma poitrine. J'allai mourir ; une seconde fois. La guerre du monde du dessous avait eu raison de moi. J'avais sauvé mon monde contre ma vie. C'était une belle mort.

Quand soudain le froid me mordit les membres. L'haleine hivernale de la citadelle me fouetta le visage. J'étais de retour sur ce plan de l'univers. Les royaumes d'Adrietha, pensais-je, devaient me réserver une dernière surprise. Je reconnus le chant des sizerins qui déchirait mélodieusement le silence des cieux blancs. J'étais de retour, me répétais-je, étonné.

Je m'aidai du garde-fou pour me redresser. Mon esprit était encore embrouillé et je peinai à mettre de l'ordre dans mes idées. Andraha ! Pensai-je. Mais alors que je me retournai, je ne vis rien, rien d'autre que les ténèbres. J'étais aveugle. Quel genre de dieu pouvait être aussi cruel de rendre le souffle à un homme si ce n'est que pour mieux le priver de la beauté du monde ? Je voulus crier mon désarroi mais derechef, la déception m'attendit. Ma voix n'était plus. Désormais, je ne pouvais qu'entendre le hurlement du blizzard au creux de mes oreilles et le froide sensation du toucher sous mes doigts.

Alors que j'avançais à tâtons dans les dédales obscures qui furent autrefois ma demeure, je sentis comme une énergie monter en moi. Je ne pus l'expliquer, mais je percevais étrangement les formes et les perspectives sous une mystérieuse aura mauve. Avec le temps, je m'habituai à ce schéma magique et je fus bientôt apte à me déplacer dans la citadelle sans heurter mon environnement. Les pièces étaient vides, ni personnel ni Andraha. J'errais seul, traquant les fantômes d'une histoire révolue.

Mais je ne m'avouai pas vaincu pour autant. Pris d'une soudaine bouffée d'espoir, je me convainquis que mon destin m'attendait à Falcon. Je me souvins du Conseil des Treize. J'étais et je resterai la Treizième Arcane. Il était temps que le roi reprenne son trône. Il était temps que je retrouve ma vie. Et bien que je puisse affirmer sans nul doute que je fusse en pleine maîtrise de mes pensées et de ma chair, je ne pus m'empêcher de ressentir l'inquiétante léthargie d'une entité malveillante en moi.