« Dites voir, c'est bien dans les registres que vous fouillez ? »
« Mille excuses, là n'était pas mon intention. À dire vrai, je recherche des renseignements sur un certain Dwalin »
« Dwa-- Attendez, Dwalin de Méreïm ? »
« Précisément ! Les auriez-vous vus ? »
« Inutile de chercher ici. Le nain n'est pas assez important pour figurer dans ces dossiers. Suivez-moi »
L'étrangère fermait la marche de près, et levait le nez face aux imposants lacis d'étagères qui poussaient de toutes parts. Les volumes qui reposaient çà et là étaient aussi innombrables que rares, de quoi lui donner le vertige.
« Ne traînez pas. Je n'ai aucune envie d'alerter la garde afin de ratisser l'endroit à votre recherche »
« Ou--oui, je comprends »
« Donc, qu'est-ce qui vous pousse à remonter jusqu'à ce vieux nain ? »
« C'est personnel. Une connaissance que j'aimerais revoir. Je me demande s'il s'est assagi avec l'âge »
« Ah ! Parler de Dwalin, c'est comme décrire un roc : robuste et obtus ! Plus courageux comme nain, on en fait pas. Plus borné non plus, d'ailleurs »
« En effet, nous parlons du même nain »
Suivant les traces de son hôte, l'étrangère bifurqua sèchement dans un corridor étroit où seul illuminait un brasero. À côté de celui-ci se dressait un piédestal qui maintenait un livre ouvert. Il était épais et semblait contenir tous les mystères de la Loge.
« Nous y sommes ! Bon alors, voyons voir... Hum, Damot ; Dolvas ; Drubelle... Dwalin ! Voilà ! »
« Qu'est-ce que ça dit ? »
« Eh bien, je pourrais peut-être le dire si vous arrêtiez de m'interrompre »
« Désolée... »
« Hem. Bon... selon l'auteur, Dwalin est né un demi-siècle de ça, dans le petit bourg de Méreïm. Il n'en dit pas davantage, mais d'après mes sources, à l'époque, le pays était en proie au désastre. Les Ysiriens et les Cédois étaient en désaccord, Charmon essuyait les vagues incessantes des espions et des stratèges. C'était le centre névralgique de la guerre. Il n'est pas étonnant que le registre stipule que la famille naine se soit exilée vers les Templiers »
« C'était en quelle année ? »
« Hum... l'an trente-neuf. Dwalin avait quatre an, soit un an après le début des conflits méridionaux »
L'étrangère se pinça le menton du bout de l'index et du pouce, intriguée. Le nain ne lui avait jamais dévoilé cette partie de l'histoire. Elle esquissa un sourire amusé, quelque chose lui disait qu'elle allait beaucoup en apprendre dans le coin.
« Continuez, je vous prie. Qu'est-il arrivé une fois à Carathiel ? »
« Je n'ai jamais mentionné la capitale. Vous êtes sûre d'être une amie, jeune fille ? »
L'étrangère se frotta l'arrière du crâne, mal à l'aise, en essayant cahin-caha d'afficher une expression neutre.
« Ou--oui ! Ne vous inquiétez pas, ce n'est pas le premier endroit que je visite pour m'informer. J'ai d'ailleurs été me recueillir sur la tombe de ses parents, après l'incendie de Carathiel... »
« Hem, vous m'en voyez navré pour lui. Eh bien, le texte ne raconte pas grand chose, pour tout dire. Dwalin a eu une enfance des plus ennuyeuses »
« C'est-à-dire ? »
« C'est-à-dire qu'après avoir quémandé un lopin de terre à la cour royale, la famille s'est installée dans les faubourgs pour cultiver leur pitance. Fort heureusement, Galaëna II n'était pas une reine tyrannique. Les percepteurs d'impôts exigeaient une maigre somme des récoltes. Entre ça et les vagissements de ses premières dents, Dwalin n'a vraiment rien à raconter, et ce, jusqu'à ses douze ans »
« Manifestation de la magie, c'est ça ? »
« Exactement. Le sort Rochepeau, si je ne m'abuse. Une saloperie en combat isolé »
« Oui, ah ah ! Dwalin avait toujours le don de provoquer une rixe de taverne pour se pétrifier au milieu de la pièce et admirer le carnage »
« Oui... amusant. Si je ne le connaissais pas, je dirais que ce rustre n'avait pas l'étoffe d'un mage »
« La taille ne fait pas son nain »
« Hum, c'est sûr. Bien, continuons. J'ai d'autres chats à fouetter, mademoiselle »
« Oh, oui. J'en suis navrée »
« Ne le soyez pas. Alors, l'auteur explique que des ravisseurs seraient venus l'arracher au sein de ses proches, moyennant finance. Nul doute que les hommes dont il parle soient des membres de la Loge »
« Il vous arrive souvent de kidnapper des enfants à leurs parents ? »
« Très chère, ne remettez pas en cause ce qui vous dépasse. La magie n'est pas une affaire morale que l'on traite en cour juridique. La probité n'a aucune valeur pour l'arcane »
« Tout comme à ceux qui en usent, je suppose ? »
Le doyen lança un regard noir à l'étrangère. Être une petite fouineuse n'était pas bon dans les parages. Si elle continuait à mettre son nez partout, elle en pâtirait le prix.
« Mais là n'est pas la question. Je vous en prie, continuez »
« Votre nain a été élevé ici-même, à la Loge. Ses résultats étaient plutôt médiocres, surtout aux épreuves physiques. Intéressant, voilà qui explique tout »
« Qui explique quoi ? »
« Dwalin est connu par nos services comme un dangereux criminel. Il est activement recherché par les autorités sedoises pour tentative de meurtre sur seize jeunes femmes »
« Tentative ? Il ne les a pas tuées ? Peut-être n'est-il pas coupa-- »
« Si, mademoiselle. Dwalin ne tue pas ses victimes, il les mutile, leur broie brutalement les jambes jusqu'à en faire des cul-de-jatte. Vous avez l'art de choisir vos connaissances, dites-moi »
« Il ne m'a jamais parlé de ça... il doit y avoir une erreur ! »
« La seule erreur que je vois, c'est de vous avoir emmené ici. Je suis désolé, mais je ne peux pas continuer cette lecture avec vous »
« Mais pourquoi ! »
« Confidentiel »
« Pitié ! »
« C'est un non catégorique, mademoiselle »
Exaspérée, et ne voulant pas en rester là, l'étrangère saisit le doyen par l'épaule et le plaqua contre le mur, poignard à la gorge. L'ombre dansante du brasero donnait au visage de la fille une expression menaçante, à mesure que son regard se rembrunissait.
« Dites-moi ce qu'il est advenu de lui »
« On--on--on l'a envoyé à l'étranger. Désormais connu sous le sobriquet de zig du Nord, il devait remettre son rapport tous les trois ans avant de repartir »
« À l'étranger ? Vous voulez dire... au-delà des brumes ? »
« Aïe ! Oui-da, grâce au Cor des vents. C'est un--un artefact magique qui était gardé jalousement par la Loge. Arrêtez ! Vous m'faîtes mal ! »
« Était ? Il a disparu ? »
« Volé serait un terme plus exact. On ignore qui ou quoi, mais à cause de ça, votre ami et les nôtres sont incapables de voyager en-dehors de l'empire »
« Il est ici ? Dwalin est ici ? »
« Oui ! Palsambleu, dégagez ce couteau de là ! »
« Où ! Répondez ! »
« Argh ! Je l'ignore ! Je suis sensé conserver les livres, pas renifler le postérieur de vos petits copains ! »
« Bien, merci de votre aide »
L'étrangère relâcha son étreinte, laissant l'homme s'écrouler au sol. Alors qu'elle s'apprêtait à s'enfuir, le doyen poussa un ricanement mauvais qui arrêta net la jeune fille.
« À votre place, je ne compterais pas trop sur un bon accueil. Le nain n'a jamais suivi les ordres. Il est parti plus de vingt ans sans revenir. Votre ami n'est plus celui que vous connaissiez, ah... ah... on raconte même qu'il se serait récemment encanaillé avec des morts-vivants »
« Vous voulez dire que c'est un étranger ? Un parias ? Un parricide ? Je sais, je le suis moi-même »
« Mais qui êtes-vous à la fin, bordel ! Qu'est-il pour dépenser tant d'énergie à le retrouver ! »
Alors que la silhouette de la jeune fille se découpait dans le cadre de la porte, prête à partir, elle regarda par-dessus son épaule et prononça intelligemment :
« C'est mon père »