Deuxième lune de Trëde, décade I, an 10Je me suis réveillé depuis une paire d'heures, maintenant. Lorsque j'ai ouvert les yeux, l'effroi me glaça les os. J'étais enterré vivant. J'essayai de rassembler mes pensées, mais la peur les dispersait comme une nuée d'oiseaux effrayés. Alors, comme l'insecte qui se rue vers la lumière, j'ai gratté et poussé cette fissure au coin de ma tête, cette promesse de liberté qui illuminait ce maudit caveau.
Enfin ! Le fond de l'air était frais, c'était insoutenable. Mon corps ne m'obéissait plus. C'était comme s'il voulait se protéger pour nous deux. Puis, je suis tombé devant cette tombe. Elle se dressait fièrement dans la neige, me jugeant du haut de ses yeux de gargouille de pierre. « Léoric Belmont ». Était-ce moi ? Comme le déni s'insurgeait en moi, je refusais cette vérité. Non, je ne pouvais pas être mort. Mais je compris vite que la mort était le dernier cadet de mes soucis. Sous le glas de l'hiver, je ne me rappelais plus qui j'étais. Ma mémoire avait disparu.
Deuxième lune de Trëde, décade II, an 10
Cela fait une décade que j'erre dans ces landes gelées. Bon sang, que ne donnerais-je pas pour un peu de chaleur et un repas. En vérité, je n'ose m'avouer à moi-même cette incompréhensible absence de faim. C'est impossible. Si je suis mort, pourquoi sentir la froide morsure du vent ? Pourquoi cette douleur au crâne ne s'en va-t-elle pas ? Je dois découvrir le fin mot de cette histoire.
Je me suis rendu au pied d'une citadelle. J'étais heureux à l'idée de rencontrer une âme douce et chaleureuse dans ce monde désolé et dangereux. Cependant, la peur me rongeait les os. Et si, l'homme qui résidait ici, était à l'origine de mes tourments ? Qu'importe, j'avais besoin d'aide. Je m'enfonçais un peu plus dans l'ombre de l'édifice et frappa à la porte, ignorant ce qui advenaient des prières échouées à la mauvaise porte.
Ma joie se dissipa rapidement. Personne n'était venu. L'endroit semblait inhabité. Trop haut pour tenter d'escalader, pensais-je. Dans mon malheur, il y avait un peu d'espoir. Non loin de l'entrée, j'ai déniché un vieux journal recouvert de neige. Bien qu'une date est inscrite sur la première page, il ne semblait pas être utilisé. Dorénavant, je noterai chacun de mes faits et gestes. J'espère ainsi retrouver peu à peu la mémoire. Ou, dans le cas contraire, ne pas la perdre davantage.
Deuxième lune de Trëde, décade III, an 10
J'ai enfin trouvé une sortie à ce maudit vallon enneigé. Bien que j'ignore toujours où je suis, l'air est plus chaud et la neige se raréfie. Une aubaine !
Je n'arrive toujours pas à expliquer ce qu'il vient d'arriver. Mon corps semble répondre à des exigences que je ne connais pas encore. Je marchais vers l'aval de la montagne, dans un bois épais, lorsque mon pied franchit le sol. Je n'en revenais pas, mon corps tout entier se mit à s'enfoncer comme dans du sable mouvant. À mesure que je m'enfonçais, ma vue se brouillait, rendue inutilisable dans ces souterrains ténébreux. Je me suis débattu comme un aliéné pour en ressortir et, lorsque je pus enfin reprendre mon souffle, voulus réitérer l'opération. Sans succès. Était-ce le fruit d'un esprit malade ? Cela semblait pourtant si vrai...
Mon premier village ! Les gens ne semblent pas se soucier de moi. Une bonne chose ! Peut-être suis-je plus vivant que je ne l'eus crû. J'en ai profité pour dégoter quelques habits plus séants contre les deux pièces qui traînaient dans le caveau. Ces haillons trempés et déchirés inspiraient le mépris sur le visage des passants.
J'ai interpellé un homme ce matin. Les choses ne semblent pas aller correctement. La région souffre de nombreux assauts morts-vivants. Mieux vaut que je reste à l'écart. Je crois avoir troublé la populace locale. Les gens ont la fâcheuse manie de m'appeler Sieur Triste-Gueule. Je n'aime pas ça.
Bon sang ! Je me suis fait jeté comme un lépreux. Je suis fauché comme les blés. J'ignore où je puis trouver de l'or, je ne sais même pas moi-même ce dont je suis capable. Je ne vois qu'une solution envisageable.
Je l'ai fait, j'ai cambriolé ce pauvre homme. J'ai honte d'admettre que ça m'a plu. Pire, cet étrange phénomène est revenu. J'ai pu traverser les portes sans les ouvrir ! Quelque soit cette ignominie qui m'a engendré, je l'en remercie !
Troisième lune de Trëde, décade I, an 10
Aujourd'hui, j'ai reçu une étrange visite. Un homme encapuchonné qui prétendait me connaître. Je lui ai offert le bénéfice du doute, après avoir dévoilé l'emplacement de la planque. Il dit que je suis roi. Ah ! Ce pauvre bougre semble rongé d'une bien pire maladie que la mienne ! Pourtant, il insiste. Ses propos, bien confus dans mon esprit, semblent logiques. Moi, roi ? Il me nomme la « Treizième Arcane ». J'ignore ce que cela veut dire, et je commence à perdre patience avec lui. Cependant, quelque chose m'attire inexorablement vers lui. Après tout, c'est la seule piste que j'ai pour retrouver mon passé.
Troisième lune de Trëde, décade II, an 10
Falcon. Quel endroit étrange. Je ne me rappelle pas y avoir déjà mis les pieds un jour. Pourtant, mon mystérieux hôte m'affirme que j'y suis né. À l'époque, le royaume était encore unifié sous le règne d'un roi. C'est étrange, je n'arrive pas à voir cette ville comme une capitale. Il dit connaitre mon père, et ma mère. Je commence à avoir la nausée. C'est trop en si peu de temps.
Ils se font appeler le Conseil des Treize. Une bande de saltimbanques pris trop au sérieux, à mon avis. Tous déjantés, pas un pour rattraper l'autre. Ils m'ont parlé d'une dangereuse femme à abattre. J'ignore qui est cette Andraha, mais si c'est bel et bien elle la cause de ma mort, que les Dieux aient pitié d'elle.
Première lune de Chaü, décade I, an 10
Voilà deux décades que je m'entraîne avec eux, et déjà je ressens un changement au niveau de mon corps. Cette magie, ils appellent ça la marche spectrale. Un talent inné chez les morts à devenir éthéré. Une forme d'intangibilité qui empêche mon assaillant de me blesser, ou de rendre l'infranchissable franchissable. En contre partie, je ne peux rien faire également.
Ils se comportent avec moi comme si j'étais de sang bleu, ce qui n'est pas pour me déplaire. Mais leurs rituels nocturnes sont des plus répugnants. Si vraiment je fus maître de ces lieux dans une vie passée, il est clair que j'ai prohibé ces assassinats sanglants. Par les Quatre, quelle horreur ! Je ne pensais pas l'alchimie aussi immonde. Pourtant, ils affirment que dans ma vie antérieure, je la maîtrisais parfaitement. J'ai du mal à y croire.
Désormais, je contrôle mon corps. Le spectre qui est en moi se manifeste, enfin ! Mais je suis d'un autre genre, disent-ils. J'ai rejoint le rang des immortels, que malgré mon corps bien en chair, la marche spectrale me permet de devenir aussi insaisissable que le vent. L'unique moyen de me vaincre est de s'en prendre à mon cœur de dryade. Je me demande d'où je viens. Je crois qu'il est temps pour moi de me mettre au travail.
Dans l'univers...